C'est avec un sentiment de satisfaction sans nuages que je suis allée, hier, chez le coiffeur. Je n'y avais pas pensé, mais ma liseuse est le meilleur atout que j'ai jamais eu pour affronter l'épreuve !
Ah oui, peut-être expliquer pourquoi le salon de coiffure est, pour moi, un endroit fort douloureux. Il n'en a pas toujours été ainsi : petite, j'y accompagnais ma mère qui venait, trois ou quatre fois l'an, s'y faire faire une "permanente". J'avais pour mission de regarder comment les coiffeuses plaçaient les bigoudis : et nous tentions, mes soeurs et moi, de reproduire la manoeuvre à la maison...
C'était une mission d'importance : je l'accomplissais donc avec fierté, et j'aimais bien le salon de coiffure : la moiteur de l'air ambiant, le piquant du parfum des bombes de laque et les cheveux coupés, au sol, comme autant de feuilles d'automne.
Mais à l'aube de mes huit ans, ma mère décida que c'en était fini de la corvée quotidienne de démêlage de mes longs cheveux, et j'eus droit à ma première coupe, qui fit surgir le garçon, ou plutôt la copie de mes frères, en moi. Bien dégagée derrière les oreilles, méchée sur le front, j'étais désormais munie d'une sorte de petit casque brun surmontant les "lunettes sécurité sociale", à la monture plastique, d'un transparent rose qui évoquait à la fois les méduses et les chemises de nuit en pilou.
J'en voulus aux coiffeuses, puis au monde entier, mais l'apitoiement sur soi-même ne mène jamais bien loin. Je crois d'ailleurs que, légitime ou non, le sentiment de la laideur physique n'est souvent qu'une couverture. Dans mon cas, c'était une tentative d'explication : si je me disais que j'étais laide, c'était surtout pour excuser "les autres" de ne pas m'aimer... Bref.
En tout cas, dès que je fus maîtresse de moi-même,je ne mis plus les pieds, sauf exception, dans les salons de coiffure. Tout m'y était devenu rébarbatif, et d'abord, évidemment, le catastrophique tête-à-tête avec les miroirs. Me contempler pendant plus de cinq minutes était une épreuve ! Et les journaux qui sont mis à la disposition de la clientèle féminine, chez les coiffeurs, étaient si affligeants, me semblaient constituer une telle insulte à l'intelligence, qu'ils ne pouvaient guère m'être d'un quelconque secours.
Le temps passa, évidemment, et j'arrivais tant bien que mal à composer avec moi-même nous en sommes tous là. Pour échapper aux cheveux blancs, je repris, comme ma mère en son temps, le chemin du salon de coiffure. Mais je prenais mes précautions, bravant le qu'en dira-t-on et les regards en biais : j'emportais désormais mes propres lectures...
Car ce n'était pas trop bien vu de "laisser faire" la coiffeuse sans se plonger dans les miroirs flatteurs, et je comprenais bien pourquoi : je me démarquais ainsi du mythe commun , à savoir que le salon de coiffure est un endroit dédié, sur cette planète, à une féminité heureuse et tournée vers elle-même, dans un égocentrisme enfin légitimé. Je me souviens d'ailleurs d'un coup de téléphone de Clopin, un jour, me demandant de passer, au sortir du salon, à "Espace Emeraude". Après un instant de silence outré, une des clientes avait fait remarquer que, pour elle, "se faire déranger" ainsi pendant la séance était inenvisageable. Sa pitié à mon égard m'avait amusée - moi qui n'étais dans cet endroit que par pure nécessité, et dans le déplaisir !
En tout cas, je dois aller, désormais, très régulièrement au salon de coiffure - je n'y avais pas pensé, mais ma liseuse est absolument parfaite pour cette circonstance. Bien moins visible qu'un livre, ressemblant à une tablette d'où l'on peut suivre les plus imbéciles des médias, elle me planque parfaitement, comme les pots de géranium de Vercors...
J'ai donc subi, hier, l'habituelle coloration (le "régé" est le terme convenu), puis le shampoing, la coupe et le "brushing", aussi tranquille que si j'étais dans mon lit : je lisais en douce le savoureux ouvrage de Boucheron, "l'histoire au conditionnel", et laissais faire les mains adroites qui prenaient soin de ma chevelure...
Je crois que je vais avoir du mal, désormais, à quitter ma liseuse : nous sommes faites l'une pour l'autre !